Valve et le renouveau de la Steam Machine

Dix ans après l’échec relatif de sa première génération de Steam Machines, Valve remet le couvert. Et cette fois, le ton est radicalement différent. Là où les premières tentatives s’étaient perdues dans une jungle d’offres confuses, le géant de Bellevue reprend la main et annonce sa propre vision : une machine compacte, puissante, pensée pour le salon et taillée pour compléter l’écosystème Steam déjà solidement établi par le Steam Deck. Cette nouvelle Steam Machine ne cherche pas à remplacer la console portable de Valve, mais à s’installer à ses côtés, comme une pièce maîtresse d’un écosystème matériel cohérent. Et à en juger par les spécifications techniques, Valve ne fait pas dans la demi-mesure.

Une machine de salon aux ambitions de PC gamer

Sous son boîtier cubique minimaliste, la Steam Machine embarque un processeur Zen 4 à six cœurs et douze threads, capable de grimper jusqu’à 4,8 GHz, épaulé par une carte graphique RDNA3 disposant de 28 unités de calcul montant jusqu’à 2,45 GHz. Elle est équipée de 16 Go de RAM et de 8 Go de mémoire vidéo dédiée, avec deux configurations de stockage au choix : un SSD de 512 Go ou un autre de 2 To. De manière concrète, Valve promet une puissance six fois supérieure à celle du Steam Deck, une affirmation audacieuse mais cohérente avec la montée en gamme du matériel. La marque assure que cette configuration permet de jouer en 4K à 60 images par seconde sur des titres aussi gourmands que Cyberpunk 2077: Phantom Liberty ou encore Black Myth Wukong. On parle ici d’un 4K intelligent, rendu possible par la magie de l’upscaling et de la reconstruction d’image. Une approche désormais standard dans l’industrie, mais qu’il faudra juger sur pièce.

La connectique, quant à elle, est généreuse : Wi-Fi 6E, Bluetooth 5.3 avec antenne dédiée, port USB-C, quatre ports USB-A, Ethernet Gigabit, DisplayPort 1.4, HDMI 2.0 et même un lecteur de carte microSD. Sur la façade avant, une barre lumineuse de dix-sept diodes RVB fait office d’indicateur système et pourra, selon Valve, signaler la progression des téléchargements ou des mises à jour. Un détail esthétique, certes, mais révélateur d’un soin porté à l’expérience utilisateur, là où la première génération de Steam Machines se contentait de ressembler à de simples boîtiers de PC.

Valve précise que cette nouvelle venue est suffisamment puissante pour streamer sans latence n’importe quel jeu vers un autre appareil, comme un Deck, une télévision connectée ou même un casque VR. L’idée est claire : faire de cette Steam Machine le centre nerveux de l’écosystème SteamOS, un hub de jeu capable de distribuer sa puissance à d’autres écrans dans la maison. Pour accompagner cette vision, Valve étend le programme de certification « Steam Deck Verified » à la Steam Machine, garantissant une compatibilité parfaite sur un nombre croissant de titres. Cette convergence n’est pas anodine : elle traduit la volonté de Valve de normaliser son environnement, comme l’ont fait Sony et Microsoft depuis des décennies.

Le retour du Steam Controller : deuxième chance pour un pionnier

Avec cette nouvelle génération, Valve ressuscite aussi sa manette maison. Le premier Steam Controller avait marqué les esprits par son audace et sa complexité, mais il n’avait jamais réussi à s’imposer auprès du grand public. Cette fois, Valve semble avoir retenu la leçon. Le nouveau modèle reprend l’ADN du précédent (notamment ses deux grands pavés tactiles) mais y ajoute des technologies de pointe : vibrations HD à la manière de la DualSense de la PS5, joysticks magnétiques TMR pour une précision accrue et une usure réduite, et surtout des poignées à pression « Grip Sense » permettant d’activer ou désactiver la visée gyroscopique d’un simple geste. L’ensemble est complété par quatre boutons arrière entièrement personnalisables, désormais indispensables dans les manettes modernes. Valve ne cherche plus seulement à innover : il veut convaincre les joueurs que son contrôleur peut rivaliser avec les références du marché. Si l’intégration logicielle est à la hauteur, le Steam Controller pourrait bien devenir le compagnon naturel de la Steam Machine.

Le Steam Frame : un pari audacieux sur l’architecture ARM

Mais l’annonce la plus surprenante reste celle du Steam Frame, un casque de réalité virtuelle conçu pour fonctionner de manière autonome, propulsé par un processeur Snapdragon 8 Gen 3 et un SteamOS porté pour la première fois sur architecture ARM. Cette décision représente un pari technique colossal. Comment faire tourner un catalogue de jeux conçu pour le x86 sur une architecture fondamentalement différente, sans effondrement des performances ? Valve évoque un travail d’optimisation inédit, mais ne donne encore aucun détail. Le casque affiche une définition de 2160×2160 pixels par œil (identique à celle du Meta Quest 3) et intègre un eye-tracking censé adapter le rendu en fonction de la direction du regard. Le tout est modulaire : la batterie, les haut-parleurs et la sangle peuvent être détachés, remplacés ou réparés. En revanche, le choix d’utiliser des piles AA pour les contrôleurs intrigue, voire déroute. En 2025, ce choix semble anachronique, mais il témoigne peut-être d’un souci d’accessibilité et de simplicité.

Le Steam Frame ambitionne d’être plus qu’un casque VR. Valve le présente comme un « PC miniature », capable non seulement d’exécuter des jeux VR natifs, mais aussi d’afficher des titres traditionnels sur un écran virtuel flottant. L’idée n’est pas neuve, mais peu d’acteurs l’ont concrétisée avec succès. Si Valve parvient à rendre cette expérience fluide et intuitive, elle pourrait offrir au Steam Frame une légitimité que même Apple peine encore à asseoir avec son Vision Pro.

Les zones d’ombre et les défis à venir

Reste, évidemment, une série d’inconnues. La première est celle du prix. Valve reste muet, et pour cause : l’équation n’est pas simple. La Steam Machine est trop puissante pour être abordable au même titre qu’une console de salon, mais elle ne doit pas non plus dépasser le prix d’un PC gamer milieu de gamme si elle veut séduire.

Autre point critique : la promesse du 4K à 60 images par seconde. Si la machine s’appuie massivement sur la génération de frames et l’upscaling FSR, elle devra convaincre que ces technologies ne dégradent pas la qualité visuelle ou la réactivité en jeu. L’expérience utilisateur devra être irréprochable, aussi bien pour le joueur occasionnel que pour l’amateur de fluidité absolue.

Enfin, la stratégie autour du Steam Frame intrigue. Porter SteamOS sur ARM est une prouesse, mais aussi une source d’incompatibilités potentielles. Si Valve ne parvient pas à garantir une compatibilité solide avec les jeux x86, le casque risque de devenir un objet de niche. L’entreprise devra donc, plus que jamais, capitaliser sur son savoir-faire logiciel et sur Proton, son outil magique de compatibilité, pour éviter les désillusions.

Une stratégie plus claire, un positionnement plus cohérent

Contrairement à la première vague de Steam Machines qui reposait sur des partenariats multiples et un manque criant de cohérence, cette nouvelle version incarne la philosophie actuelle de Valve : une approche intégrée, maîtrisée et pensée comme complémentaire de ses autres produits. La Steam Machine ne cherche pas à remplacer le PC du joueur, mais à simplifier son usage dans un contexte de salon. Elle ne veut pas non plus concurrencer frontalement les consoles, mais proposer une alternative plus ouverte, sans abonnement obligatoire, avec la flexibilité d’un PC et la simplicité d’une interface console. Le Steam Deck a démontré que Valve savait désormais concevoir du matériel robuste et fonctionnel. Cette nouvelle machine marque la consolidation de cette maturité.

Le pari est clair : Valve veut installer son écosystème sur tous les fronts. Le Steam Deck pour le jeu mobile, la Steam Machine pour le salon, le Steam Controller pour l’unification de l’expérience, et le tout nouveau casque Steam Frame pour la réalité virtuelle. Cette cohérence donne à l’entreprise une assise comparable à celle des géants du hardware, tout en conservant la liberté propre à la plateforme PC.

Le sens d’un mouvement : Valve, enfin constructeur à part entière

Au-delà de la puissance brute et des fiches techniques, ce que Valve construit ici, c’est un écosystème. SteamOS, Deck, Machine, Controller, Frame : chaque pièce s’emboîte dans une vision globale, celle d’un futur où le jeu PC n’est plus enfermé dans une tour, mais distribué sur des appareils interconnectés. Valve devient peu à peu un constructeur à part entière, tout en conservant sa philosophie d’ouverture. Contrairement à Apple, qui cloisonne, ou à Sony, qui verrouille, Valve cherche à fédérer autour de standards ouverts, tout en offrant une expérience cohérente. C’est cette approche qui pourrait faire la différence.

Le renouveau de la Steam Machine n’est pas seulement un retour en arrière. C’est la réinvention d’un vieux rêve : celui de transformer le PC gaming en une expérience simple, élégante et accessible, sans sacrifier la liberté qui en fait la force. Si Valve parvient à livrer une machine fluide, silencieuse, performante et bien intégrée, le pari pourrait bien être gagnant. Mais l’histoire nous a appris que Valve n’avance jamais en ligne droite. La prudence reste de mise.

Une promesse crédible, un défi colossal

Valve revient sur le terrain du hardware avec une ambition renouvelée. Sa nouvelle Steam Machine incarne une maturité que l’entreprise n’avait pas lors de ses premières tentatives : une compréhension fine de son public, une expertise en design industriel et une vision écosystémique du jeu vidéo. Si le Steam Deck a ouvert la voie, la Steam Machine pourrait être la consolidation. Reste à voir si Valve saura éviter les pièges classiques du segment : prix mal positionné, communication floue, ou optimisations insuffisantes. En attendant, cette annonce marque un tournant : Valve ne se contente plus de vendre des jeux. Il veut redevenir un constructeur, et peut-être, pour la première fois, un acteur central du hardware PC grand public.

Le rêve d’une machine Steam, cette fois, semble plus proche que jamais de se réaliser.

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